Les textes sont ordonnés dans la chronologie de l'écriture,

le premier étant le dernier écrit.

Certains textes du recueil ne sont pas sur le site.

 

 

LES ORANGES AMÈRES

 

 

J'ai cueilli dans l'arbre

des oranges amères.

Je les ai choisies vertes.

D'un vert profond, d'un vert sombre.

Quelques tâches de jaune ambré et

d'ocre safrané s'esquissent timidement.

Leur odeur est si discrète qu'il faut en caresser

l'écorce rugueuse pour la libérer.

Je les ai disposées joliment.

Elles se révèlent douces

dans la lumière blanche ;

elles n'en ont pas l'habitude,

mais cela leur va si bien.

Pour en tempérer l'âpreté

il suffit simplement de les regarder.


RÉCRÉATION

 

 

Un point d'interrogation,

une tête de lama bleu foncé,

un petit coeur blanc,

une esquisse enfantine d'un cheval au galop,

une pomme avec la tige.

 


ÉPILOGUE

 

 

Voilà que le temps file.

Il nous faut fermer le livre.

Et vite,

vivre notre vie.


LA SIESTE

 

 

Je me suis baignée ce matin,

l'eau est toujours chaude ici,

le soleil a séché ma peau

et je suis rentrée.

 

J'ai laissé la fenêtre et les volets entrouverts

pour inviter la pénombre

et m'aider à trouver le sommeil.

 

Allongée sur le lit,

enveloppée de chaleur,

j'écoute le doux frémissement de l'eau,

la rumeur estivale,

les cris au loin des enfants sur la plage

et la musique du vendeur de glaces.

 

Mon corps a gardé le souvenir

des mouvements de l'eau.

Il flotte encore.

 

Je me laisse bercer.

 

La tension se libère.

Je sais que je respire.

mes réflexions se simplifient

entre la rêverie et le tangible.

Je ne pense à rien,

enfin à presque rien.


LES SILENCIEUX

 

 

Je remonte le temps et m'engage

vers celui des fièvres froides et des morsures.

Je remonte l'allée sèche

faite de terre dure et de grésil,

jonchée d'orties prise sous une pellicule de givre.

Mes pas sont lourds et la traversée difficile.

Mes jambes et mon ventre se muent,

ils se font rocailleux et rugueux.

Ils savent d'instinct.

Je remonte jusqu'en haut de la colline,

traverse une forêt froide habitée de troncs droits,

denses, rectilignes et sombres,

plantés depuis trop longtemps ;

barreaux d'une cage immense

sans fond ni limite apparente.

J'avance, guidée par mes sens, aveuglée par la nuit.

Sans répit, avec urgence, j'avance.

Il n'y a plus de sentier,

qu'une multitude de branches nues.

Je me griffe aux épines des ronces,

marche sur les mousses humides.

m'agrippe aux roches glacées et grises.

Les cimes des silencieux sont si hautes.

Les silencieux géants, indestructibles

gardent le secret pour eux,

l'enracinent et en nourrissent leur sève.

Les animaux sauvages ne s'aventurent pas dans les parages,

trop drus, trop hostiles à leur liberté.

Je remonte le temps et me rapproche

si près du lac gelé du désordre.

J'en frissonne.

J'aborde la glace blanche et bleue,

un pas après l'autre,

m'assure qu'elle est solide pour supporter mon poids.

Elle craque, elle se fissure par endroits,

semble fragile, prête à se dérober sous mes pieds

mais elle tient bon.

Je remonte le temps pour qu'il s'éloigne de moi,

pour ne plus en percevoir la matière,

pour ne plus jamais avoir froid.


IN A MANNER OF SPEAKING

 

 

C'est comme dans la chanson,

une façon de dire

le silence,

les gestes qu'on ne peut faire,

la distance qu'on se doit,

les vies qu'on ne vit pas

ensemble.

Échappons-nous de cette impasse.

Envolons-nous,

racontons-nous encore

des choses

de nos vies.

Ressemblons-nous

curieusement.

Passons-nous de paroles

dissonantes.

Offrons-nous des mots

voluptueux,

joyeux,

tendres et clairs.

Sans se toucher les mains,

frissonnons un peu plus chaque fois.

Soupirons d'aise à notre vue.

Existons dans le manque,

dans nos rêves,

dans nos corps.

Attendons-nous;

patiemment.

 

Sans se le dire,

 

vraiment ?


UN CAFÉ

 

 

C'est toujours la même chose,

un café le matin,

un autre à dix heures,

puis après déjeuner.

Mais il arrive qu'on sorte des sentiers battus

et qu'on prenne un café

en s'attardant sur une terrasse bondée

à l'ombre d'un parasol,

ou à l'abri du froid, au fond d'un bistrot bruyant,

près d'une fenêtre embuée,

avec une amies,

juste pour causer.

le café ça délie les langues,

accompagne les mots.

Qu'on le sirote ou qu'on l'avale d'un trait,

debout sur le zinc,

c'est comme "Vincent, François, Paul et les autres", simple.

Et puis, parfois, c'est un complice,

le prétexte idéal à une invitation ;

preuve timide d'un élan,

la tasse qu'on ne finit pas à dessein

pour faire durer le moment ;

un équilibre fragile entre amertume et gourmandise,

un élixir qui brûle les lèvres ,

réveille les sens,

et agite les coeurs.


DOS AU MUR

 

 

Une fin d'après-midi,

je marche dans une rue étroite d'une ville du sud.

Je m'attarde.

Je veux photographier la rue,

les murs décrépits aux couleurs d'ocres, de rouges et de verts, les pavés défoncés, les recoins sombres et humides aux odeurs entremêlées de poissons frits, d'embrun, de linge propres et d'urine ;

je veux photographier les contrastes et l'ambiance si singulière d'avant le soir.

Un rai de lumière passe sur la vitre d'un bar.

Attirée par la clarté soudaine, je m'approche.
Je me trouve devant des dos d'hommes.

Des dos légèrement courbés, des dos au tee-shirts colorés, des dos de chair, des dos aux lignes rondes.

Je ne peux pas voir l'intérieur du bar,

l'éclat lumineux fait écran.

Pas un seul n'est tourné vers la rue,

pas un seul ne me regarde les observer.

Je peux prendre le temps de l'attention.

un sentiment d'étrangeté me traverse,

je ne fais pas partie de la scène,

tout à coup étrangère à leur terre d'hommes.

La distance est visible entre eux et moi.

Ces dos courbés, placardés sont comme un écriteau qui dirait "bar à hommes - femmes n'entrez pas".

Un mystère se crée, un désir de le mettre à jour aussi,

inévitablement.

Que se racontent-ils ?

La porte du bar est ouverte,

j'écoute le bourdonnement de leurs voix rauques,

leurs rires ;

je ne connais pas leur langue,

rien n'a de sens précisément mais j'en aime la chaleur, la musique et les variations.

De quels secrets s'agit-il ?

Une sensualité se dégage de ces corps démonstratifs et masculins.

Une force immatérielle, une unité, une couleur;

J'ai volé la photo de ces dos sans visage,

effacé la distance entre eux et moi.

Pour les rendre disponibles à mon regard,

je les ai, à leur insu , apprivoisés.


PLONGER

 

 

Quand le corps s'immerge entièrement dans l'eau

les bruits s'assourdissent, ils se corrigent

et se font simples ;

les yeux ouverts perçoivent des formes aux contours imprécis, le flou domine.

Le fond de l'eau au loin et la distance à parcourir rétablissent l'échelle, le corps est à sa juste mesure.

L'onde devient une alliée pour avancer.

L'effort consiste en  une poussée calculée ;

les muscles des jambes et des bras se tendent,

le corps glisse, progresse à la surface,

l'action provoque un trouble.

Nager, c'est compter pour ne pas perdre le fil,

suspendre l'agitation du hors de l'eau,

entendre battre le sang dans ses artères,

voir s'échapper les bulles de ses expirations profondes,

sentir à chaque mouvement l'étreinte liquide,

c'est résister, c'est s'abandonner à l'élément,

c'est se sentir vivre vraiment.


FLOTTER OU S'ENRACINER

 

 

C'est une route transversale

qui fend le paysage en deux.

D'un côté il y a l'eau

et de l'autre la terre.


CES TROIS PETITS MOTS GRIFFONNÉS

SUR UN MORCEAU DE PAPIER

 

 

Un trou dans le coeur,

ou un étau dans le ventre, une douleur.

Des joues et des cuisses aux chairs brûlantes.

Une place vide, froide dans un lit.

Une soif infinie qui sans jamais se tarir

assèche les lèvres et brûle la gorge.

Des yeux qui ne peuvent soutenir un regard,

un silence plein.

Une  insupportable attraction.

Un baiser saliveux, un baiser impudique.

Un désir, une illusion, un faux-semblant.

Une impossibilité de dire, parce que les mots seraient imprécis.

Un rayon de lumière se frayant un chemin vers un visage endormi.

Un souffle court, une caresse, un cri.

Un crève-coeur d'indifférence, un désenchantement.

Une silhouette, un geste, une odeur,

une piqûre, un charme, un délicieux abandon.

Un accident de parcours, un hasard ;

un ravage, une obsession.

Une ivresse.

Une histoire simple de proximité.

La tendresse d'un premier petit déjeuner,

l'impatience d'une dernière cigarette.

Une trouvaille sans qui il n'est plus possible de vivre.

Une peau qu'on pourrait réciter par coeur.

Une âme soeur.

Trois petits mots dits ou

griffonnés sur un morceau de  papier.


LA PLACE

 

 

Qu'avons nous perdu en chemin ?

Une trace, un destin commun.

Nous nous sommes connues pourtant,

tant,

tu étais ma lumière, mon joyau, mon illusion ;

le trésor du Pays des Merveilles,

la fantasque, la bizarre, l'insatiable, l'incontrôlable.

Enfermée dans l'enfance.

Je t'ai mille fois cherchée, tu ne m'as pas attendue.

Je t'ai crié mon amour, tu ne m'as pas entendue,

perdue sur ta terre noire de mélancolie, de monstres, et de médicaments, sourde à mes prières, muette de secrets.

Tourmentée, égarée, épuisée.

Pleine de silences, de mots douloureux enfouis au fond de ton ventre.

Nous empruntions le chemin sinueux d'un amour claudiquant,

la tête tournée vers tes amours de femmes,

t'enivrant des vents de tes passions déraisonnables,

mirages dans un désert de pierre.

J'ai quitté ta route trop ardue et sauvage pour mes forces naissantes.

J'ai pris de magnifiques chemins de traverses

inondés de soleil,

marché dans des pas assurés,

découvert une terre éclairée et fertile,

et laissé derrière moi des petits cailloux blancs.

Les retrouverons-nous ?

Le pourrait-on encore ?

Ils guideraient nos pas jusqu'à ma maison.

Ainsi, je t'y ferais une place

près de moi dans un rai de lumière

ou sur un banc au soleil.

Je te ferais une place.

 


US ET COUTUMES

 

 

Ce matin pour me vêtir

j'ai choisi mon chemisier fleuri.

Je me suis parfumée,

avec une eau que j'adore

parce qu'elle me transporte vers des terres chaudes

de jasmins, de citronniers et de fleurs d'oranger.

J'ai mis des boucles d'oreilles,

j'ai longtemps hésité,

puis me suis décidée pour les rouges

celles qui me font penser aux femmes des films d'Almodovar ;

mis du gris à mes paupière et du rose à mes lèvres.

Je me suis regardée dans le miroir de la salle de bain,

me suis trouvée jolie.

Je suis sortie dans les rues, sans y prendre garde,

j'ai senti des regards appuyés sur mon corsage,

d'un homme d'âge mûr que je ne connaissais pas ;

un sourire grimaçant, déplacé, impudique.

Cela n'a pas duré très longtemps, mais a suffit pour m'embarrasser.

Puis l'air de rien, il a passé son chemin.


LE NOUVEAU-NÉ

 

 

Tu montes dans le tram de la ligne 1, tu es chargée, encombrée de sacs en plastique de supermarché, coiffée d'une queue de cheval faite à la hâte,

en jogging un peu usé.

Ta pauvreté s'affiche.

Tu as l'air en vrac,

tu marches doucement dans la rangée du milieu

et t'assieds en face de moi.

Tu es pâle, cernée, essoufflée.

 

Je ne m'aperçois pas tout de suite

que derrière le zip de ta veste de sport,

tu portes ton nourrisson, sur ton thorax,

comme on porterait un petit animal,

un chaton trouvé sur le pas d'une porte.

Tu souris pourtant en me regardant,

d'un sourire candide et franc.

 

Le tram poursuit sa lente progression dans la ville.

Il y a beaucoup de bruit,

des voix de lycéens excités qui sortent de cours,

brouhaha se mêlant aux annonces régulières des

stations qui défilent et à la voix forte dans les haut parleurs 

indiquant de signaler tout objet suspect.

Il y a beaucoup de monde, c'est l'heure de pointe.

Il fait très chaud pour un mois de septembre.

Personne ne semble te remarquer.

Ton tout petit s'impatiente. Il pleure. Un peu.

Tu ne sais pas trop quoi faire, lui demandes d'attendre, lui murmures que vous êtes presque arrivés, qu'il va téter en rentrant à la maison. J'aimerais te donner des conseils de mère  pour t'aider à le calmer.

Mais je n'ose pas.

Je te demande l'âge de ton petit.

Trois jours me réponds-tu fièrement,

puis tu me donnes des indications de taille, de poids, pour me dire que tu es concernée.

Nous nous sourions, nous nous rapprochons autour de ton bébé.

Tu me dis qu'il s'appelle Axel.

C'est joli Axel.

Tu transpires et tu as l'air de t'en excuser.

Un peu gênée par tes fluides corporels,

d'un regard, je te rassure.

 

Le tram arrive aux abords de ta station,

tu te lèves, reprends tes sacs en plastique et

te diriges vers les portes de sortie.

Juste avant de descendre tu me demandes

l'âge de ma fille assise à mes côtés.

Seize ans.

Alors tu regardes attentivement ton petit.

Si petit dans le tram de la ligne 1.


LE JEU

 

 

Attends un peu,

ferme les yeux,

ne triche pas !

C'est la règle du jeu.

Je compte jusqu'à trois

et tu pourras à nouveau les ouvrir

...

1,2,3.


UNE VUE SUR LA MER

 

 

Mer Méditerranée,

une mer en colère,

une mer meurtrie,

une mer cimetière,

une mer brisée ;

fatiguée de notre suffisance,

de l'indifférence,

de la violence,

saturée. 

 

Une vue sur la mer,

une fenêtre ouverte aux quatre vents,

le vent de la misère, des ventres vides

et des poches trouées ;

le vent de la fuite, de l'exil,

de l'impossible retour ;

le vent de la folie des hommes,

de la persécution, de l'avenir sans issue ;

le vent du sang, du sifflement des bombes,

de la violence, de la désolation.

 

Une vue sur la mer,

une porte ouverte,

une offrande, un espoir,

un possible répit,

pour les enfances perdues,

pour les mères aux mains vides,

pour les pères blessés,

pour l'Homme,

pour les humains que nous sommes,

pour la reconstruction,

pour la chaleur humaine,

pour notre dignité.

 

Une vue sur la mer,

la Mer Méditerranée.


DANS LA CHALEUR DE TES SEINS BLANCS

 

 

Combien en as tu portés ?

Si on fait le compte, sept et huit avec moi.

Des marmots à n'en plus finir,

toujours un pendu à tes bras, collé à ton ventre,

des figures à débarbouiller, des chagrins à consoler,

des bidons de lait frais, des tartines de beurre salé et de confiture, des kilos de patates épluchées,

et des fins de mois difficiles.

Des vêtements qu'on se refilait de taille en taille,

âge après âge,

de corps en corps jusqu'à l'usure.

Ça vivait dans ta maison.

Puis plus grands, ils se réunissaient tous autour de toi,

cherchant ta chaleur, la mère, les tantes et l'oncle.

Moi, j'étais là, une de plus, la "p'tite",

la dernière après ta dernière.

Une à toi par procuration, par filiation.

Parce qu'il le fallait bien.

Arrivée après les coups durs et les manques.

Après les tourments, les choix difficiles,

dans le calme après les tempêtes de ta vie.

La semaine, nous étions seules à la maison,

toute à moi, je me soûlais de ta tendresse.

Parfois je m'aventurais et pédalais sur les chemins jaunes, dans la campagne, près de la maison,

me gavais de mûres sauvages,

me piquais les doigts aux épines des ronces,

marchais dans les orties pour te cueillir des marguerites,

m'écorchais les genoux.

Je m'en moquais, sûre que tu serais là,

et consolerais mes larmes d'enfant.

Tu en avais tant l'habitude.

À l'heure de la sieste, je caressais ta tête,

cherchais attentivement tes cheveux blancs,

tu n'en avais pas tant ;

puis nous nous enlacions sur le côté,

bercée,

blottie contre tes seins blancs et lourds,

j'avais bien chaud, je m'endormais.

À quoi rêvais-tu toi ?

D'histoires d'amour, celles de tes romans photos ?

D'hommes, de femmes, de liberté, de voyages ?

Je n'ai rien su de ta douleur,

tu ne m'en as jamais rien dit,

en silence,

tu as pansé mes pleurs et adouci ma vie.


LA DOUCE TRÊVE

 

 

Au coeur de l'été

j'ai déposé les armes,

à mes pieds

ma robe rouge a glissé,

de tes bras je me suis habillée.


À L'INCONNU

 

 

Entre deux mers, entre deux terres

prêt à partir, toujours dans les airs,

que t'est il arrivé

qui t'empêchait de te poser ?

L'exilé volontaire

libre comme l'air, le gamin des faubourgs,

fier et malheureux.

Nous n'avons eu le temps de rien,

juste de quoi nourrir mon chagrin,

un temps pour creuser un sillon,

une mémoire, un visage, une ride à mon front.

Mes mains sont vides maintenant

mais je garde précieusement,

jalousement,

la beauté de tes yeux clairs,

et la douceur de ta peau,

l'odeur de ton parfum coûteux,

le bruissement du cuir de ton blouson,

ta voix douce et ton rire bizarre,

tes grandes mains aux ongles ronds,

ta façon de ramener derrière mes oreilles

mes cheveux en bataille,

tes chemises élégantes,

tes tendres caresses à mon cou,

les boucles de tes cheveux entre mes doigts,

entortillées,

nos parties de football,

nos balades en barque à Vincennes,

les tours de manèges de la foire du Trône,

les pommes d'amour et les Barbapapa,

Les westerns en anglais, Bruce Lee, les cinés

et les marrons chauds du boulevard des Italiens,

les tours de voiture sur tes genoux, le disco, tes nouvelles idées et tes plans foireux.

Tes bagarres, tes gourmandises, tes secrets, ta solitude, ta pudeur, tes sauvetages, ton impatience parfois.

Tes disparitions volontaires,

mes longues heures à t'attendre

aux terminaux d'aéroports,

dans l'appartement du XXème,

dans les chambres d'hôtels luxueux,

dans les bureaux, les restaurants

où tu t'affairais tant.

Je marchais dans tes pas pressés

dans un Paris gris et pluvieux,

tu me semblais si grand.

Tu n'étais pas mon père, mais nous étions semblables.

Puis nous nous sommes perdus.

Des années gâchées, de fuites, de rendez-vous manqués.

Et lorsqu'à la lueur de la bougie,

de blanc recouvert,

étendu,

tu m'es réapparu,

j'ai déposé sur ta tombe des poignées de terre

et tout l'amour d'une fille à son père

et je n'y suis jamais revenue.

 


QUANT À L'ORAGE, IL NE DURE PAS

 

 

Le ciel si souvent changeant

est une promesse

à la mélancolie.

Demain, il fera beau


MA JOLIE

 

 

La tête dans les nuages,

les oiseaux de passage

s'alanguissent pour te voir.

Les vents et les pluies

mordent tes tendres joues.

Impétueuse et sauvage

tes rêves s'accomplissent.

Regarde, toujours, regarde,

écoute, surtout, écoute

à la lueur des voûtes étoilées,

à la lumière radieuse des soleils de l'été,

les paroles amies et les amours tissés.

Doute, car ils existent

l'hydre et les chants des sirènes,

ceux que le soirs venu, nous dévorions blotties,

et si les jours d'hiver tu frissonnes de froid,

couvre-toi du manteau que je t'ai tricoté.


LES FIGUES

 

 

Sous le figuier,

dans l'herbe chaude, j'ai attendu.

Seuls vert et bleu se sont mêlés,

jusqu'à la nuit,

j'ai attendu

un baiser de toi.


BONHOMME

 

 

Un mot dit, pour un maudit chagrin

maudit chagrin

une couleur amie, comme ça l'air de rien,

pour faire du bien.

Bonhomme, par la main

par la main

m'empêche de glisser sur la terre gelée,

retroussant nos manches,

soulevant les lourdes pierres,

débusquant les serpents et les lézards glacés.

Et dire et penser encore,

et encore ;

quand personne dehors ne semble éveillé,

l'ami le frère le père l'amant

bonhomme,

sur ta planète je peux me reposer ;

quand le noir étouffant aveugle mes pensées

bravement tu éclaires le chemin embrumé

et me permets de marcher sans tomber.


LES ÉGARÉS

 

 

Reste là,

n'approche pas trop vite ;

attardons-nous dans le blanc

et l'écume.

Reste là,

encore un peu,

accordons-nous à nos traits imprécis,

flottons encore dans cette douce musique;

Sur la terre ferme, pas après pas,

nos yeux embués s'accommoderont,

nous réduirons la distance

et observerons plus nettement

cette réalité confondue.

 


LA DÉLICATESSE

 

 

Les branches nues

ne craignent pas l'hiver,

elles attendent patiemment le printemps.


LE DON

 

Ce matin, je suis allée dans mon jardin.

J'ai cueilli les premières roses qu'il m'a données

pour en faire un bouquet.

 

Elles sont si délicates,

leurs pétales d'un rose tendre,

leurs tiges sont bien droites.

Elles sentent si bon,

leurs aiguillons inoffensifs, si on sait les tenir.

 

J'ai cueilli les premières roses,

pour en faire un bouquet.

Elles sont pour elle.

Elles sont pour lui.

 

Ils se reconnaîtront.


 

 

 

 

 

LES KAKIS

 

 

Pendant que tu dormais,

aux premiers rayons du soleil,

derrière la remise, sur la terre gelée,

j'ai ramassé les kakis.

Laissons les prendre leur temps,

laissons les mûrir encore.

Ils seront tendres et sucrés

sous leur rides.

Alors nous nous régalerons mon chéri.