Les oeufs mimosas

Extrait du recueil - Roman-Photo "LES OEUFS MIMOSA"

 

C'est un dimanche où on mange des oeufs mimosas, où on sort les photos d'avant, où on entend le temps s'échapper ; C'est un dimanche rempli d'un rien, c'est un dimanche où on s'aime.

« Moi, j'aurais aimé aider ma mère à débarrasser la table de la cuisine après le
dîner. Sur la table, il y aurait eu une toile cirée à petits carreaux bleus ; au dessus
de la table, il y aurait eu une suspension en forme d'assiette, en
porcelaine blanche ou en tôle émaillée, et un système de poulies avec un
contrepoids en forme de poire .»
G. Perec – W et le souvenir d'enfance.

 

 

 

 

LES OEUFS MIMOSAS

 


Cette femme qui me regarde, ce n'est pas ma mère. C'est celle d'un autre, mon compagnon.
Cette fillette dans ce cadre sur l'armoire, c'est ma fille, et cette autre femme sur la photo posée sur le meuble du salon parmi les bibelots, cette autre femme, c'est moi.
Je fais donc partie de cette histoire là ?


Le dimanche en famille, c'est un dimanche où on mange des oeufs mimosas, où on sort les photos d'avant, où on entend le temps s'échapper. C'est un dimanche rempli d'un rien, c'est un dimanche où on s'aime.


Ma mère avait l'habitude, elle aussi, de faire des oeufs mimosas le dimanche midi.


Je regarde cette famille qui ne m'appartient pas, et j'imagine les détails, les objets, les habitudes qui pourraient me rappeler ceux que j'aurais eus avec ma mère.


Je veux en faire l'inventaire, y voir clair, rassembler mes esprits.

J'appuie sur le déclencheur, l'objet s'inscrit et avec lui le manque, l'absence, la perte.


La vie de famille se déroule sous mes yeux, mon coeur est pris, il se nourrit d'autres liens, de cette nouvelle histoire familiale.
Je la tiens à distance parfois, pour aussitôt l'attirer à moi.


Je cherche mes souvenirs personnels, ma substance, et ils se confondent avec ceux de cette famille-là.
Je fouille dans les méandres de ma mémoire pour trouver quelque chose de tangible qui maintiendrait le lien et qui comblerait le vide. Ainsi se calmerait l'agitation qui me submerge sans que je l'explique.


Je fouille, j'explore, je traque le moindre objet qui pourrait m'appartenir.
Je déniche mes souvenirs. Cette poupée en haut de l'armoire là, j'avais la même sur mon lit dans le petit studio à Paris. Enfin je crois, est-ce un souvenir inventé de toute pièce ? Cette poupée fait-elle partie de ma vie d'avant.
Ma grand-mère portait un tablier comme celui-ci, je suis la trace, cette piste, je m'accroche à cela.

Le lustre dans la cuisine, il me dit quelque chose, oui c'est ça, il trônait au dessus de la table. Je me souviens grimper sur une chaise jouer à en tirer la poignée.

 

Est-ce le début d'une piste, un fil qui me permettrait de remonter le temps, jusqu'à celui de mes premiers souvenirs avec ma mère ? Ceux du commencement, avant que la vie ne s'emmêle;

 

Ces objet me sautent aux yeux, au coeur, leur implacable permanence me défie d'assembler les fragments de ma mémoire, permanence qui s'obstine à me dire mon impuissance malgré mon acharnement.


Je n'ai pas de chambre quelque part. Une chambre qui porterait en ses murs mon enfance, mon adolescence. Non pas qu'elle soit remisée, transformée. Non, je n'ai pas de chambre quelque part. Je n'ai plus de jouets, plus d'habits, plus de livres d'écolière, je suis nue ; dépossédée.
Je fouille, j'explore, je traque encore et je trouve cet ourson dans l'armoire de la chambre. Je m'arrête net.

Avais je un ourson comme celui-ci ?

Il me faut faire une pause.

Je m'égare dans mes souvenirs, à la dérive.

Me revient alors, un morceau de mon histoire, une photographie au dos de  laquelle ma mère a annoté "Lisa-1971".

Je perds le fil.

L'émotion me gagne.

Je referme l'armoire.


Le Dimanche poursuit sa course inexorable vers le soir, la famille se resserre, chaque membre y est à sa place. Les enfants jouent. Le soir vient, on retarde le moment des « au revoir ». Il y a de l'amour dans l'air, des embrassades, des mots doux, des gestes tendres, des yeux embués.

On se dit « à bientôt », « à dès que possible ».


Moi, j'aurais aimé.